architecture frugale

Le Manifeste de la frugalité heureuse et créative,

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

S’engager et prendre nos responsabilités.

Face aux enjeux climatiques, environnementaux, énergétiques et sociaux, l’heure de la transition écologique a sonné. Dans le secteur de la construction, nous sommes de plus en plus nombreux à réaliser l’importance d’être responsable dans nos manières d’agir sur le paysage. C’est, notamment le cas de l’ingénieur Alain Bornarel et de l’architecte-chercheuse Dominique Gauzin-Müller et de l’architecte-urbaniste Philippe Madec, qui appellent depuis la rédaction de leur Manifeste en janvier 2018, à la frugalité. Mais, qu’est-ce que c’est ? Décliné en trois principes, le Manifeste de la frugalité heureuse et créative invite à penser nos projets aux travers de différentes notions : la frugalité en énergie, la frugalité en matière, la frugalité en technicité et la frugalité pour le territoire.

Le manifeste de la frugalité heureuse et créative, qu’est-ce que c’est ?

Avant toute chose il faut remarquer le mot, frugalité. Il a été choisi pour sa définition bien précise. Au travers de nombreux entretiens[1] l’architecte-urbaniste, Philippe Madec, nous explique. La frugalité a une valeur positive entendu par tous. Le terme provient du latin, frugalitatem, de frugalis, frugal[2]. Ce qui est frugal c’est la récolte du fruit, nous dit-il. Quand la récolte est bonne, elle est fructueuse. Nous nous sommes installé dans cette idée que nous pouvons faire, concevoir et construire, à partir des ressources naturelles. Tout ce que nous utilisons vient de cette nature, même les éléments les plus transformés ont une origine naturelle. Cette récolte des matières nous devons la faire avec attention et bienveillance. La frugalité est juste quand elle ne blesse pas.

Philippe Madec

L’idée est loin d’être innovante. D’ailleurs Vitruve avait déjà rédigédans ces livres d’architecture à ce sujet. Il préconise une architecture faite en lien avec son lieu et ceux qu’il procure : Le premier soin de l’architecte devra être de ne pas employer les choses que l’on ne peut trouver, ou préparer à grand frais, car il y a des lieux où l’on ne trouve en quantité suffisante ni le bon sable de la cave, ni de bonnes pierres, ni de l’abies, ni de sapin, ni du marbre et où il faudrait, pour avoir toutes ces choses, les faire venir de loin avec beaucoup de peine et de dépenses » [3].

La totalité du manifeste de la frugalité heureuse et créative dans l’architecture et le ménagement des territoires se tient en quelques pages sur le site internet des frugalité.org[4]. Je vous l’écourte ici:

D’abord, l’introduction ne manque pas d’évoquer les rapports du GIEC[5]. Comme vous le savez, notre situation est inquiétante, alarmante et périlleuse. La consommation croissance de nos ressources limitées et globalement, nos manières d’agir sur notre planète provoquent la disparition de cycles naturelles, d’espèces animales et végétales et surtout d’éco-systèmes permettant notre vie sur Terre. Malgré les avertissements des scientifiques, le pouvoir décisionnaire des politiciens semble leur échapper. C’est à nous de prendre nos responsabilités et d’évaluer nos leviers d’action pour notre survie.

Le manifeste s’adresse en particulier aux bâtisseurs, ceux- là même dont le domaine d’action émet au moins 38 % des gaz à effet de serre[6] et dont les déchets équivalent à environ 66% des déchets produit en France[7]. Avons-nous, vraiment, choisit la meilleure manière de construire ? La publication appelle à l’engagement collectif et individuel aux travers de quatre axes : la frugalité en énergie, la frugalité en matière, la frugalité en technicité et la frugalité pour le territoire.


[1] #1 – La frugalité vue par Philippe MADEC. www.youtube.com. Site consulté le 10 mai 2023. https://www.youtube.com/watch?v=ybGLO5l4e7M.

[2] Littré – frugalité – définition, citations, étymologie. Site consulté le 10 mai 2023. https://www.littre.org/definition/frugalit%C3%A9.

[3] Vitruve. Les dix livres d’architecture, livre Ier, chapitre II /25.

[4] Manifeste pour une Frugalité heureuse et créative. Frugalité heureuse & créative, 15 décembre 2022. Site consulté le 10 mai 2023.  https://frugalite.org/manifeste.

[5] IPCC. Intergovernmental Panel on Climate Change. Site consulté le 10 mai 2023. https://www.ipcc.ch/.

[6] Les émissions du secteur du bâtiment ont atteint un niveau record, mais la reprise à faible intensité de carbone après la pandémie peut contribuer à transformer le secteur. Rapport de l’ONU , Programme pour l’environnement.16 décembre 2020. Site consulté le 10 mai 2023. http://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/les-emissions-du-secteur-du-batiment-ont-atteint-un.

[7] Bilan 2020 de la production de déchets en France. Données et études statistiques pour le changement climatique, l’énergie, l’environnement, le logement, et les transports. Site consulté le 10 mai 2023. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/bilan-2020-de-la-production-de-dechets-en-france.

1. La frugalité en énergie

Construire, c’est avant tout, transformer nos ressources primaires. Du prélèvement de ces matières jusqu’à l’assemblage des matériaux, les procédés de fabrication demandent beaucoup d’énergie. Le manifeste avise, à l’échelle du territoire, il faut favoriser la production et l’utilisation des énergies renouvelables, locales et participatives. À l’échelle du bâtiment, il faut concevoir en sécurité et plus sainement des espaces agréables à vivre qui nécessitent peu d’énergie. Par exemple, sans ventilation mécanique ni climatisation et voire sans chauffage. La conception bioclimatique permet de réduire au strict minimum les consommations  tout en assurant un confort accru.

frugalite

2. La frugalité en matière

Ils l’affirment : Nous savons nous passer de matériaux qui gaspillent. Édifier, c’est assembler des matières. Plus celles-ci sont transformées, plus elles appellent à la consommation de nos ressources énergétiques.  Philippe Madec, avec un jeu de mot plutôt rigolo, nous fait retenir les matériaux les moins énergivores : BTP, normalement utilisés comme abréviation pour le secteur du Bâtiment et des Travaux Publiques et renommé ici en Bois, Terre et Paille. Ces matériaux reviennent d’outre tombe et servent à nos édifications les plus contemporaines. Par ailleurs, la construction en Terre augmente de 3% tous les ans.

3. La frugalité en technicité

Nous avons rempli nos maisons, nos bureaux et édifices de gadgets électroniques en tout genre. Maintenant que nos habitudes sont numérisées, autoprogrammées et digitalisées nous avons peur de les changer et de manquer de confort. Pourtant, revenir à certaines techniques physiques et/ou naturelles permettrait la même aisance, si ce n’est pas mieux. Nous devrions être capable de comprendre ce qui est nécessaire aux bâtis pour notre bien-être et utiliser les qualités d’un site et de son environnement en sa faveur : « La frugalité demande de l’innovation, de l’invention et de l’intelligence collective (…) Ce n’est pas le bâtiment qui est intelligent, ce sont ses habitants.« 

frugalite en technicité

4. La frugalité pour le territoire

frugalite en territoire

S’installer quelque part, c’est intégrer un environnement à différentes échelles et de manières diverses. Un site, est à la fois, un contexte physique, paysager, sociale, projeté et encore. Ils rédigent : Le bâtiment frugal se soucie de son milieu (…) Il est généreux envers son territoire et attentif à ses habitants. La frugalité du territoire veut tisser des liens avec ce et ceux qui existent et ce et ceux qui existera. Avec ces 4 points, les signataires de la charte choisissent de devenir acteurs. Le manifeste devenu un mouvement s’étend même dans les pays voisins. Il diffuse et partage les valeurs d’une mise en oeuvre frugale, accompagnant l’instauration d’une société heureuse et éco-responsable.

Construire aujourd’hui

Exemple d’architecture frugale

Le-Hameau-des-Noés[1], situé dans la commune du Val-de-Reuil en Normandie, est une opération exemplaire dessinée selon les principes de l’architecture frugale.  L’Atelier de Philippe Madec compose avec le paysage ce projet harmonieux. Liaison entre un tissu urbain datant du début des années 1970 et les plaines amenant au bord de L’Eure, l’éco-village, achevé en 2016, propose 98 logements passifs sociaux, dont 84 en location et 14 maisons en location-accession. Les habitations en location présente des logements allant du T1 au T5, en PLAI ou en PLUS. Le programme s’agrémente d’une éco-crèche de 30 berceaux et d’un préau servant de halle pour le marché. Il installe 1,5 hectare de parc paysager inconstructible et plante plus de 20 000 végétaux.

Voulant suivre les idées d’un développement urbain frugal, le dessein des ateliers Philippe Madec s’accorde avec son contexte social, économique et environnementale. L’édification du quartier défend de fortes opinions politiques. Le projet se doit de :

. Préserver les ressources en limitant la production de déchets ; en maitrisant notre impact sur l’eau et en favorisant l’utilisation des énergies renouvelables.

. Offrir un cadre de vie de qualité en produisant des espaces publics propice à la rencontre entre les vivants et des promenades qui respectent l’histoire et l’identité des lieux et des paysages.

. Intégrer une mixité sociale et intergénérationnelle en s’adaptant aux besoins architecturaux des habitants qui sont à différentes étapes de leur vie.

. Proposer des bâtiments performants qui participent à un choix de vie éco-responsable lié à la sobriété énergétique.

. Favoriser les mobilités douces en proposant un quartier accessible où il est possible de se déplacer autrement qu’en polluant. (Ici les enfants sont accompagnés par des ânes portant les cartables jusqu’à l’école.)

. Engager un mode de gouvernance différent grâce à une communication simple, participative et ouverte entre la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre, les élus, les habitants actuels et les futurs usagers.

Construire autrement : le mot de la fin

Choisir de construire autrement, selon ses propres règles, c’est sortir du cadre législatif actuel et avancer sur table des envies liées à une pratique imaginée meilleure. Pour se lancer dans de telles constructions, il faut une certaine créativité, une curiosité sur notre monde et surtout un peu d’audace. 

Heureusement, pour rassurer ces esprits innovateurs, l’article 88 de la loi LCAP du 7 juillet 2016 a introduit le « Permis de faire »[2]. Celui-ci autorise à faire différemment à partir du moment où le résultat correspond aux attentes des normes de la réglementation française. Ainsi, il est possible de déroger à certaines règles en vigueur en matière de construction. L’architecture frugale demande à laisser oeuvrer ces gens, ces générations à venir, qui sont porteurs d’ambitions sociales et environnementales. Ceux-là même qui pensent positivement, que notre monde est tel qu’il est aujourd’hui et qu’il n’y a pas de crise.

Il y a simplement, de nouvelles manières de faire de l’Architecture, de la concevoir, de la dessiner et de la mettre en oeuvre. L’Architecture de notre temps et à inventer tous les jours. Les bâtisseurs optimistes sont dans un autre rapport au monde. Ils ne promeuvent pas un un dispositif du désespoir, c’est bien tout l’inverse.

À bon entendeur.


[1] Val de Reuil, L’éco-Village « Hameau des Noés », Première opération labélisée Éco-Quartier de Normandie. CAUE 27, Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement de l’Eure. Un quartier dans la transition écologique, Premier ecoQuartier de Normandie. Site consulté le 10 mai 2023. https://caue27.fr/wp-content/uploads/2021/02/Noes_web.pdf

[2] Permis de faire: la voie est ouverte. Ordre des architectes, 12 mai 2017. Site consulté le 10 mai 2023. https://www.architectes.org/actualites/permis-de-faire-la-voie-est-ouverte.

LEA FALLET

Architecte D.E