Si utiliser des ressources biosourcées se démocratise de plus en plus dans la conception architecturale, il faut malgré tout admettre qu’en fonction de l’origine du matériau ce n’est pas toujours une bonne nouvelle pour le bilan carbone de notre belle planète. En effet, construire à partir de matériaux bio ou géosourcés s’avère être une démarche louable mais encore faut-il que l’ensemble de ces matériaux ne parcourent pas de milliers de kilomètres pour arriver jusqu’au site du chantier !
Aussi, la meilleure façon de construire de façon responsable reste sans doute de puiser dans les ressources locales. Et s’il est possible de recourir à des matériaux naturels qui sont directement ancrés dans le territoire du projet, le pari est doublement atteint !
Et cela, l’œuvre de l’architecte suisse Peter Zumthor semble parfaitement l’illustrer. Un road trip dans le canton des Grisons en Suisse m’a permis la découverte et l’arpentage in situ de certains de ses projets dans lesquels le matériau porte une symbolique forte et rime souvent avec sobriété et pérennité. Laissez-vous embarquer pour découvrir les ressources constructives de ce coin reculé de la Suisse !

La Chapelle Sogn Benedetg
Arpentage du hameau à la chapelle
En route pour le Canton des Grisons ! Malgré le temps incertain, la route est belle : les cascades et la rythmique des tunnels en béton ponctuent le paysage et ses routes sinueuses.
Notre premier arrêt se fait dans le hameau de Sogn Benedetg non loin du village de Sumvitg. Je ne vous emmène pas dans ce lieu par hasard, c’est ici que se situe l’une des premières réalisations architecturales de Peter Zumthor, par ailleurs architecte lauréat du prix Pritzker en 2009. Il s’agit donc de la chapelle Sogn Benedetg construite en 1988. Elle a été construite suite à une avalanche de 1984 qui a détruit l’ancienne chapelle de style baroque du village. Ce nouveau site, à flanc de colline, offre une vue dégagée sur les montagnes environnantes mais protège également l’édifice de futures avalanches par la proximité immédiate avec la forêt.

A l’arrivée dans le hameau qui surplombe de quelques kilomètres le village, l’œuvre de Zumthor n’est pas encore perceptible, Il nous faudra poursuivre l’ascension un peu plus haut jusqu’à l’orée de la forêt.
Un matériau pleinement intégré à son contexte paysager

Puis, sur les hauteurs du hameau, au détour d’un petit sentier en lacet, la chapelle se dresse tout à coup devant nous. Suivant la pente naturelle du site, la forme ovale du plan de l’édifice se définit difficilement depuis l’extérieur. Un volume courbe est perceptible, duquel ressort un plus petit volume qui vient marquer le seuil de l’entrée. La figure du clocher se positionne indépendamment du volume et vient fabriquer un élément vertical également en bois.
Les multiples tavaillons de mélèze, soit les tuiles de bois qui recouvrent les façades, donnent littéralement vie à l’édifice. Ces éléments de bois changent de teintes au gré des jeux d’ombre et de lumière que nous offrent les éclaircies soudaines.
La façade Nord, avec ses couleurs plus grisonnantes, se détache aisément du reste tandis que sur la façade Sud, le bardage se fait plus coloré, plus éclatant avec des teintes d’ocre, grâce aux rayons de soleil intermittents. Le bois est effectivement un matériau qui évolue dans le temps : il change d’aspect, de teinte et vieillit au fil des années. Ainsi, il est intéressant de faire le tour de l’ouvrage en contemplant à la fois l’architecture dans son ensemble que l’évolution du matériau dans ses moindres détails.
Dans une interview avec le New York Times, l’architecte, Peter Zumthor, exprime la relation qu’il a avec la matière : « Quand je commence un projet, ma première idée pour un bâtiment s’illustre avec le matériau. Je crois que c’est cela l’architecture. Ce n’est pas une question de papier, ce n’est pas une question de formes, c’est une question d’espaces et de matières.»
Quels enjeux de pérennité pour le bois ?
Même si les mentalités évoluent peu à peu, pour beaucoup de personnes encore, pas forcément initiées au sujet, le bois « vieillit mal ». Pourtant, si les traces du temps sont certes perceptibles sur le matériau, cela n’en reste-t-il pas, à l’heure ou j’écris ces lignes, un superbe ouvrage même une quarantaine d’années après ? Au regard de l’architecte, cela lui donnerait même une certaine poésie de pouvoir y lire les marques de vie, comme nous pourrions le faire sur n’importe quel être vivant.
Bien que Zumthor ait utilisé des matériaux et des techniques modernes pour cette conception particulière, la chapelle s’intègre parfaitement dans son contexte, sans venir dénaturer l’architecture in situ à savoir les constructions historiques du village alpin. Ainsi, le bardage de la chapelle utilise des bardeaux de bois, plus précisément appelés des tavaillons, qui arborent par leurs teintes une esthétique semblable aux maisons traditionnelles locales. Ils sont posés avec une technique habituellement utilisée en toiture, avec une disposition comparable à des écailles.

Le mélèze, un matériau directement issu du territoire
Le choix du bois de l’ouvrage, à savoir le mélèze, fait directement lien avec la proximité immédiate des forêts de résineux et donc les ressources présentes in situ. L’usage du bois, tant sur les constructions traditionnelles du hameau que sur les réalisations plus modernes comme c’est ici le cas de la chapelle, fait par ailleurs gage de pérennité grâce à ses qualités intrinsèques au fil du temps.

Rappelons par ailleurs, que la durée de vie moyenne d’un bâtiment courant en France ne dépasse malheureusement guère les 50 ans[1], du fait de changements d’usages, de structures non prévues pour être évolutives, de matériaux diminuant en qualité dans le temps etc… Pourtant, en comparant la temporalité, celui-ci construit à la fin des années 1980 semble encore avoir de longues années devant lui : la qualité d’un matériau, biosourcé certes, mais surtout local et ancré dans son territoire, et celle de sa mise en œuvre ont ainsi toute leur importance.
[1] MEQUIGNON Marc, « Durée de vie et développement durable », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine [En ligne], 26/27 | 2012, mis en ligne le 01 novembre 2017, consulté le 23 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/crau/587
Le village de Vals : des espaces publics aux célèbres thermes

Continuons donc notre route en direction de Vals ! Si mon périple m’a emmené jusqu’à ce village, c’est avant tout pour poursuivre la découverte de l’œuvre architecturale de Peter Zumthor.
Ce petit village culminant à 1250m est effectivement devenu célèbre par ses thermes. La visite de cet ouvrage promet d’être une incroyable expérience, entre jeux de lumière, rapport brut de la matérialité et vues paysagères sur la vallée à couper le souffle…
En attendant de nous rendre au sein de l’édifice reconnu comme chef d’œuvre, attardons-nous pour flâner au gré des ruelles et arpenter le vieux village de Vals.
Le quartzite, matériau géosourcé emblématique de la vallée de Vals
La route étroite qui mène à la vallée de Vals est taillée dans le flanc de la montagne, surplombant des gorges d’où s’écoule une rivière. C’est également du village même que jaillit une source thermale de 30°C. L’eau et la pierre sont justement les principales ressources naturelles de cette région alpine, au cœur des Grisons.
La pierre issue de ces montagnes, se nomme, à l’image du village éponyme, la Pierre de Vals. L’unique carrière de Vals y est exploitée depuis des siècles et produit d’un point de vue géologique, « un quartzite micacé schisteux à grains serrés, d’aspect rubané et composé de couches légèrement bleuâtres avec quelques fois des reflets verdâtres, alternées avec des couches de quartz gris clair à blanches ». [2]
La pierre de Vals est extrêmement dure et résistante au gel. Elle peut s’appliquer à des usages intérieurs et extérieurs : pour le dallage au sol, les revêtements muraux, les façades, les escaliers, le toit, les piscines et même les plans de travail ou l’ameublement. En fonction de l’usage et de l’aspect recherché, elle se coupe dans deux directions différentes et peut avoir de multiples finitions : brute de sciage, éclatée, clivée naturelle, brossée, adoucie, polie mat ou brillant, sablée etc… C’est un quartzite que nous allons retrouver, vous vous en doutez, dans les thermes conçus par Zumthor, mais également de manière ponctuelle au gré des espaces publics du village. A chaque fois, le matériau est extrait très localement, à savoir directement de la carrière communale, appartenant à la famille Truffer.
[2] PHITAOS, « La pierre de Vals », The Art of Stone
La pierre de Vals au fil des espaces publics
Parcourir le centre ancien du village permet de déambuler dans les ruelles étroites parmi des éléments d’architecture traditionnelle de la région, faite de bois et de pierre, sur laquelle les stigmates du temps sont passés, les intempéries et hivers rudes ont fait travailler et évoluer les matériaux.
J’avais connaissance, avant de me rendre in situ, de la matérialité des thermes mais j’étais loin d’imaginer que le quartz était véritablement un marqueur identitaire dans la construction urbaine du village. Il est en effet présent de manière récurrente au sein du parcours dans le vieux Vals, nous le retrouvons à la fois en revêtement de sol, en limite, par exemple en mur de soutènement mais aussi faisant office de garde-corps sur une passerelle ou encore sous forme d’emmarchements et de rampe, par exemple dans le parcours paysager menant de la route à la réalisation architecturale de Zumthor. Aussi, l’usage de quartzite, au-delà de la noblesse du matériau, permet de dessiner une cohérence urbaine avec une logique de matière que l’on retrouve ponctuellement. Tout en donnant une image à la fois sobre et élégante, la pierre de Vals va de paire avec les enjeux de tenue dans le temps du matériau.



Les thermes de Vals : le quartz à l’honneur avec plus de 40 000 plaques
Construit sur les seules sources thermales du canton des Grisons, les thermes de Vals proposent des espaces de bain/spa avec une véritable expérience sensorielle à la clé. Originaire de la région, Peter Zumthor dessine le projet en 1996 avec initialement l’idée de concevoir son édifice au sein même des montagnes environnant les sources. Si le thermalisme existe depuis plus de quarante ans dans cette vallée, ce n’est qu’avec l’ouverture des nouveaux thermes, en 1996, que cette activité a véritablement pris son envol à Vals.
Comme l’explique Annalisa Zumthor, sa compagne : « Au départ, l’idée était de construire une station thermale à l’intérieur même de la montagne, ou de découper des blocs de roche géants afin de se baigner à l’intérieur. Mais ces plans n’étaient pas réalisables ».


L’architecte aura finalement réussi le pari de construire un bâtiment où l’eau thermale se marie harmonieusement avec la pierre de laquelle elle jaillit dans la nature. Pour y parvenir, Peter Zumthor a utilisé 40 000 plaques de quartz afin de constituer différents espaces de bain, aux grandeurs et aux températures différentes : ces plaques forment une multitude de couches minérales qui, une fois superposées entre elles, dessinent les volumes. Pleinement intégrés à leur environnement naturel, les espaces de bain sont semi-enterrés dans la pente et sont recouverts en toiture d’une épaisseur enherbée.
Depuis le cheminement paysager lui-même revêtu de quartz, le bâtiment des thermes ne possède pas de porte d’entrée à proprement parler. Et si dans mon imaginaire, l’édifice de Zumthor n’avait pour seul contexte environnant que des chalets d’alpage et des montagnes, la réalité est finalement toute autre. Cela illustre bien le fait qu’une architecture doit être vécue et donc visitée pour être interprétée correctement. La proximité d’un complexe hôtelier construit à la suite des thermes impacte effectivement le contexte paysager. Il faut en effet traverser la parcelle de celui-ci pour accéder à l’intérieur du volume des thermes.
L’espace y est éclairé par des jeux de lumières naturelles conférant à l’architecture une ambiance poétique, comme si le lieu était sacré. La succession d’espaces ouverts, puis fermés poussent à explorer les lieux et fabriquent une véritable expérience sensible dans laquelle le rapport brut à la matière joue un rôle essentiel. Hormis le bain extérieur central qui fabrique un genre de patio, les autres bains et espaces de bien-être se situent à l’intérieur de hautes boîtes en pierre. Chacune de ces boîtes renferme un espace de dimension et de fonction variable. De plus, Zumthor a rendu chaque sous-lieu unique en concevant des atmosphères propres à chaque bain et à chaque température. Entièrement recouverts de longues pierres plates découpées dans la roche quartzeuse de la carrière de Vals, les murs sont formés par l’empilement de celles-ci et dessinent ainsi ces immenses blocs monolithiques de 5m de haut. Diverses fentes dans le complexe de toiture permettent par l’arrivée de lumière d’accentuer la mise en valeur de la matière.

«Ce sont les diverses couleurs du quartzite qui le rendent si précieux. Cette roche ressemble au marbre et peut donc être utilisée à l’intérieur des bâtiments. » explique Pius Truffer, co-détenteur de l’entreprise. Au-delà de la grandeur de certains espaces, ce rapport à la matérialité donne l’impression de s’y sentir tous petits. Un sentiment encore accentué par les immenses ouvertures vitrées qui offrent des vues dégagées sur la vallée et les sommets environnants.
Constructions avec des matériaux locaux : le mot de la fin
Ainsi, au regard de ces deux ouvrages finement conçus par l’architecte Peter Zumthor, puiser les ressources en fonction des matériaux présents sur le territoire, permet non seulement de valoriser les ressources locales avec possibilité de les réinterpréter de manière contemporaine tout en justesse et sobriété, de participer ainsi activement à l’économie du territoire mais également de décarbonner une partie de la construction en supprimant ou diminuant considérablement les émissions de transport jusqu’au chantier. Cela permettrait d’éviter, sur le sujet du bois par exemple, de faire importer des ressources de territoires lointains, comme cela peut être le cas de pièces en lamellé-collé pour des projets de grande envergure. Alors que nous avons dans chacun de nos territoires les ressources pour adapter nos habitudes de construction plus durablement, essayons également de penser la qualité comme un enjeu de long terme et donc de faire des choix qui maximisent la pérennité du matériau.
Pour une approche plus pragmatique sur tel ou tel matériau biosourcé, n’hésitez pas à vous rapprocher de Ghara qui propose actuellement des formations sur la construction bois.

ORLANE HUITRIC
Architecte D.E