Baan din doi

Pratiques constructives alternatives : les Workaways à l’étranger

Louisa Frangeul Articles écoconstructions

Baan Din Doi Construction Naturelle, Thaïlande

Aller à l’étranger, voir, découvrir, expérimenter de nouvelles techniques. Le cadre, peut-être trop réglementé, de la construction en France, laisse-t-il place aux étudiants, aux curieux, aux passionnés d’alternatives ? Nombreux sont ceux qui aujourd’hui, choisissent de parcourir le monde en quête de nouvelles possibilités innovantes. Le site Workaway, un réseau Twiza à l’échelle mondial, recèle de propositions autour de la fabrication artisanale et de l’expérimentation architecturale.

En Thaïlande, lors d’une année d’échange universitaire, je vais à la rencontre d’Alain, niché entre deux montagnes près de la ville de Chiang Rai, dans le Nord. Je vous emmène alors à la découverte de ce lieu, Baan Din Doï, « maison en terre près de la montagne » en thaï, qui a su m’émerveiller et m’apporter de nombreuses connaissances pratiques, théoriques et réflexives sur l’éco-construction. Peut-être ce récit, vous inspirera-t-il, vous aussi…

Baan Din Doi : genèse du projet …

Le projet Baan Din Doi est né en 2015. Encore salarié à temps partiel dans une ONG, Alain, français et sa femme Fon, thaïlandaise, décident de louer un terrain de 5000 m² à la campagne.

Leur envie ? Expérimenter une vie plus simple, loin de la ville. Commencer un potager pour se nourrir plus sainement avec légumes et fruits cultivés sur place, sans apport chimiques, mais aussi… construire son lieu de vie.

Ingénieur en électronique et informatique de formation, Alain a toujours eu un intérêt pour la construction écologique et les modes de vie alternatifs. Les habitats simples, type cabane et yourte, l’attire depuis longtemps.

Par le passé, en France, il réfléchit bien des fois à cette idée de vivre sans travailler de façon classique, « contre salaire ». Pourquoi ne pas essayer un mode de vie où l’on peut satisfaire ses besoins primaires : se loger, se nourrir, être heureux !? Conscients qu’il fallait tester, dans la réalité, ce rêve, Alain et Fon se lancent…

Récit d’une aventure en Thaïlande à la croisée de l’auto-construction, l’éco-construction et la construction alternative…

De la démarche au projet d’auto-construction

Au départ, Alain et Fon optent pour la location d’un terrain, afin de minimiser le risque financier et éventuellement, pouvoir orienter le projet dans une autre direction voire, tout arrêter. Cependant, le champ devient vite un terrain de jeu où Alain s’extasie à enfin expérimenter concrètement ce qu’il apprend lors de stages courts, par ses lectures et recherches sur Internet.

Faire, comprendre, refaire, défaire, améliorer… Pour Alain, ces étapes sont cruciales au développement de ses compétences et à la compréhension des matériaux locaux qu’il emploie et réemploie.

En premier lieu, sur le terrain, c’est un mur en terre, qu’il édifie, démolit, puis rebâti. Puis quatre murs, formant une pièce. Le long cheminement qu’il choisit pour arriver à ses fins n’a pas pour seul objectif de « construire » mais plutôt de toujours reconstruire « mieux » : en recommençant inlassablement, en testant de nouveaux mélanges, et modulant la matière, Alain parvient à une compréhension fine du matériau qu’il utilise.

Le bénévolat : moyen de partage, facteur de transmission et incubateur d’énergie

Début 2019, Alain commence à proposer des stages de formation de 5 ou 7 jours dans les environs de Chiang Mai, à Earth Home Thaïland, un homestay rassemblant une dizaine de construction avec des bâtiments en bois local réutilisé et brique adobe (terre crue mélangée à des fibres, séchées au soleil). La technique adobe est importé des USA par Jon Jandai, pionnier, humaniste et activiste écologique, un Pierre Rahbi thaïlandais. Situé à 1 km de Earth Home, son projet « Pun Pun » inspire beaucoup de jeunes Thai ou personnes vivant En Asie, qui viennent s’y former.

Pour que les constructions soient réalisées dans les temps, et ne parlant que très peu la langue Thai, Alain fait également appel à des bénévoles de la plateforme WorkAway, intéressés par un échange culturel et voulant pratiquer la construction autour d’un projet concret.

« Heureux de ne pas être seul sur le projet, entouré par des jeunes supers enthousiastes, cela me confortait ! Je sentais que ce type de projet avait du sens et correspondait à un véritable besoin : pratiquer l’auto-construction, même étant complètement novice. » Alain

Par ailleurs, Alain souligne la nécessité des stages pour les futurs auto-constructeurs. « Le physique est essentiel, si ton corps ne peut pas suivre, pas d’auto-construction ! 7 jours, c’est un test, une expérience corporelle pour certains. Construire soi-même c’est une expérience passionnante mais c’est aussi ressentir sa chair : douleurs, courbatures, fatigue, épuisement… Ce n’est pas à la portée de tous. » Pour certains, cela requestionne la mise en œuvre de leur projet : faire appel à des sous-traitants, organiser des journées participatives, proposer du bénévolat ? Le stage en construction est alors un moment de projection.

chantier paille terre crue

De l’achat du terrain au projet actuel

Fin 2018, Alain et Fon jugent opportun d’acheter un terrain, afin de poursuivre leur rêve : une quête de vie simple, autour d’un potager et d’un centre de formation aux techniques de constructions naturelles. Coup de chance ! Leur voisin est disposé à vendre une partie du terrain : calme, retiré, peu cher, village où ils ont déjà leurs marques, ils signent ! Ce terrain, c’est le début de l’accomplissement.

. L’affirmation d’une philosophie de vie

2020, le monde découvre le virus, évite les contacts, se confine, se révolte. Prise de conscience collective d’un système inadapté ? Serions-nous la cause de ce désastre ? Surexploitation des ressources, destruction de la faune et de la flore, hypermétropolisation… Le choix de ce projet résonne encore davantage.

Le temps alors, est un allié. Au ralenti partout ailleurs, ici, c’est une incroyable opportunité pour construire tranquillement. La cuisine, 4 murs en terre crue, s’érige en 13 mois, sans stagiaire ni bénévole, dû aux restrictions trop importantes qui empêchent les déplacements. Cette longue période donne du temps à penser. Enfin, les médias portent plus d’attention à ceux qui nous alertent depuis longtemps : dérèglement climatique, pénurie à venir des matières premières, disparitions des espèces, extinction prochaine des ressources fossiles… Au cœur du tourment planétaire, Alain se questionne. « Ne suffit-il pas de se rappeler comment les individus faisaient auparavant ? Avant le pétrole ? Avant toute cette course folle au profit ? »

Des expérimentations écologiques et économiques

. Une Yourte en bambou, torchis et fondation de réemploi

La première construction sur leur nouveau terrain démarre en novembre 2019 : une yourte en bambou, attenante à une chambre de 16 m², faîtes de murs en terre, destinée à accueillir stagiaires et visiteurs.

« Pourrais-tu nous raconter cette yourte, des fondations jusqu’à l’élévation des murs… la toiture…? »

Alain : « Au départ, je voulais un habitat plutôt léger avec une couverture du style habitat nomade, souple pour le toit et les murs, je suis fasciné par ces habitats, pour la liberté qu’ils procurent. Mais j’ai changé d’avis. J’ai eu envie d’explorer la yourte comme habitat permanent. J’avais cette structure transportable en bambou qui est la « flex-yourte », j’ai eu envie de la transformer en un habitat solide, intégrant la terre pour limiter la chaleur à l’intérieur. Ça me semblait être un bon challenge !

Au niveau des fondations, l’idée c’était d’avoir quelque chose d’économique avant tout : donc réutiliser des matériaux plutôt qu’employer du neuf. Elles sont à base de gravats de béton issus des bâtiments détruits aux alentours, font 30/40 centimètres d’épaisseur et de hauteur, assemblées par un mortier de ciment.

Ici, sur des fondations en dur, sont fixés les bambous. Le toit que l’on peut observer aujourd’hui n’est pas le premier, qui était en chaume et manquait d’étanchéité. La yourte est raccordée à un autre bâtiment en terre crue (pièce de nuit) et constitue la future pièce de vie. Les murs ont été montés très progressivement avec la technique Wattle et Daub (torchis en anglais). L’idée c’est que la structure bambou, qui supporte elle-même un système de tressage, est enrobé d’un mélange terre – fibres… Sur ces murs, j’ai testé différents mélanges, notamment à base de terre, de tapioca voire de plâtre, plusieurs dosages, différentes applications… Les liants et fibres ont aussi varié sur certains pans de murs, les enduits sont à base de balle de riz (enveloppe du grain de riz), le torchis à base de paille de riz… »

Valentine : « Oui, la Yourte n’est pas uniforme, mais c’est génial ! On peut observer, avec du recul, ce qui marche bien ou moins bien, ce que l’on peut reproduire… C’est des tests grandeur nature, échelle humaine ! »

Alain : « Le défi de la yourte là, c’était la forme complexe et organique. A partir du moment où je voulais laisser l’ossature bambou apparente à l’extérieur et à l’intérieur, ça demandait une précision méticuleuse lors de l’application de l’enduit… Je devais contourner chacune des ouvertures aussi ! J’ai utilisé du verre teinté et coloré pour faire des jeux de lumière, des moustiquaires que j’ai attaché à la structure pour assurer l’aération naturelle tout en étant protéger en permanence des moustiques…  Chacune était spécifique, unique, ça demandait un temps fou ! »

La recette du torchis ? Chaque torchis est unique et dépend des matériaux que l’on a à disposition ! Dans le cas de la yourte, le mélange se constitue de terre, sable et eau dans les quantités suivantes : 10 seaux de terre pour 5 seaux de sable et 2 à 3 seaux d’eau. Les fibres que l’on y ajoute sont de la paille (env. 20cm de long max). Le mélange est appliqué directement sur la structure en bambou du mur, après avoir modelé une sorte de galette que l’on presse fermement autour des bambous. Peu à peu, le mur est complété de ce mélange assez malléable. On le malaxe, le lisse au doigt ou à la truelle, du haut vers le bas, pour toujours le lier avec le mur de terre déjà sec. Par la suite, un premier enduit servira à uniformiser la surface et cacher les quelques fissures superficielles. Puis un enduit de finition apportera la touche esthétique et protègera, à l’extérieur, de la pluie, et à l’intérieur des effets à long terme : frottements et impacts éventuels.

. La Grande Cuisine, un patchwork de matière et de techniques

Sur cet abri, ce sont les parements de toute l’ossature qui varient. Seul, se lançant dans des murs en torchis et adobe, Alain pressent la répétition et le labeur de ce travail. Avide de nouvelles techniques, il teste alors des parements en bois, l’assemblage de briques rouges et argileuses locales, des enduits de terres, des panneaux de fibres de ciment récupérés, des boiseries… Le plancher est composé à partir de céramique et tuiles concassées.

Alain : « Le bois était issu d’une grande ressourcerie, souvent c’est la destruction des maisons traditionnelles thaïe qui alimente ces lieux, les gens démantèle l’ossature et revendent le bois. On le rachète à très bas prix dans ces magasins. C’est du bois ancien, d’ores et déjà protégé, robuste. Y’a beaucoup de réseaux comme ça en Thaïlande… Ne serait-ce que pour les constructions classiques en ciment et béton, les gens vont inclure des fenêtres ou une porte en bois qu’ils trouvent… C’est courant, souvent plus des raisons économiques qu’écologiques, mais ça engendre le développement de tout un réseau, qu’on n’a pas forcément en France, du moins, qui est difficile à faire émerger. »

. Les Huttes, vers des innovations durables accessibles à tous

Valentine : « Cette année, Alain, tu prévois de construire 3 huttes en terre… Est-ce que tu peux m’en dire plus ? Comment les as-tu conçus ? Quels matériaux ? Quelles techniques ? Quelles nouveautés ? »

Alain : « La première, ce sera un bungalow pour un couple, de 4m50 sur 2m50, avec un coin bureau et des toilettes attenantes privées dans l’idée d’accueillir aussi les Online Nomad ou Airbnb… Là, je confie à des ouvriers locaux tout ce qui est fondation en béton et structures métalliques poteaux-poutres. Cette construction sera en plein soleil ! Mon défi, c’est de montrer que l’on peut offrir un confort thermique en se basant sur une conception adéquate. Les arbres, les bambous protègent oui, mais en réalité, la terre bien employée suffit à générer des espaces frais et confortables Je veux aussi expérimenter des procédés d’isolation thermique et phonique aux toitures d ‘aluminium, récurrentes en Thaïlande. Je veux réfléchir l’isolation thermique mais aussi phonique, comme la résonnance des fortes pluies lors des moussons. J’imagine un double toit, avec des plantes grimpantes et un écart d’une vingtaine de centimètres entre les deux panneaux… de sorte à ce que l’air chaud puisse s’évacuer, poussée par la brise… J’y réfléchis encore…

 Je voulais aussi réfléchir à des solutions contre le « Smog »* et la montée des eaux. Croire en un habitat bien fonctionnel : bouclier solaire, refuge thermique, protégé des inondations, et surtout, admettant la possibilité de rester dans la région lors des grandes vagues de pollution. Par exemple, la possibilité de calfeutrer les ouvertures et d’utiliser un purificateur d’air. Il faut imaginer un habitat durable à l’année, pas seulement saisonnier. Le prototype doit intégrer ces divers aspects pour être intelligent, c’est crucial. »


* La pollution atmosphérique qui sévit dans les régions nord de février à avril, dû à l’agriculture sur brûlis, l’explosion du trafic routier et les centrales à charbon. L’air est irrespirable, beaucoup de gens descendent dans le Sud pour fuir ces épisodes nocifs qui provoquent maladies respiratoires et cardiovasculaires. Les plus démunis restent.


Valentine : « J’imagine que tu veux en faire une, puis tu comptes améliorer le processus pour les suivantes ? »

Alain : « Hum… Les deux autres n’ont pas les mêmes ambitions. Ce seront des abris pour 1 personne, très minimal. J’ai plutôt axé sur la structure bois et bambou, de sorte à ce que ce soit minimum 90 % naturel. J’adore le concept sobre et esthétique des Kerterre. J’ai de plus en plus de mal à accepter, écologiquement et esthétiquement de voir des matériaux comme l’acier ou l’aluminium sur notre terrain… même si leur emploi a été justifié par la rapidité de construction, l’aspect économique…

Penser Economie et Ecologie pour trouver un compromis environnemental et sociétal ?

Alain : « Ce qui m’intéresse depuis le début, c’est de répondre à une demande : le bâtiment économique. Écologique oui, mais ici, en Thaïlande, ça passe aussi par la solution économique, pour que le plus grand nombre de personnes puisse s’approprier ces techniques, à travers l’auto-construction, guidées par des guidelines picturales ou par des cours en lignes… Depuis un an, il y a une flambée des prix des matières premières : le métal a doublé, le ciment a pris 20, 25 % … Pour les gens qui, habituellement ici en Thaïlande et en Asie, combinaient matériaux naturels comme bambou, terre, avec les structures métal, les poteaux en béton, etc, c’est important de montrer que l’on peut quand même construire. Ici, la main d’ œuvre est peu cher, donc ce qui pénalise et freine vraiment la construction, pour la population, c’est davantage le coût des matériaux que la faisabilité : le réemploi et la construction à base de matériaux naturels, c’est d’autant plus nécessaire. »

Valentine : « La démarche reste tout de même écologique. En réutilisant les matériaux, en leur donnant une seconde vie, tu intègres la stratégie du réemploi qui est remarquable pour l’écologie. Réutiliser, c’est faire de la construction écologique. »

Alain : « Oui tout à fait. Pour moi, cela passe aussi par l’approche du design minimalisme que j’expérimente. Réduire les volumes, c’est penser une architecture éco-responsable. Lorsqu’un porteur d’un projet, dès le départ est intéressé pour réfléchir à ses véritables besoins en termes de nombre de pièces, de superficie… c’est intelligemment écologique. On peut aussi penser l’économie d’énergie sur le long terme, par l’aspect conception bioclimatique, avec une réflexion poussée sur les transferts de chaleur, la masse thermique… Par exemple, se passer de l’air conditionné en Thaïlande, lorsqu’il fait 40° à l’extérieur, ça deviendra un défi majeur d’ici quelques années !

Finalement, la solution, est-ce que ce n’est pas ce que je fais ici… je ne sais pas… ? Un mix entre des matériaux conventionnels et des matériaux naturels, pour qu’au niveau faisabilité, implication des constructeurs, budget… tout cela se tienne, que ça devienne possible et accessible à tous, tout simplement ? Est-ce que l’avenir n’est pas dans un compromis ?

Et l’avenir ?

2024 sera une année charnière, avec la création de Clayvidence. Clayvidence sera une entreprise à vocation artisanale pour diversifier leurs activités, avoir des revenus plus stables tout en conservant l’âme du projet global : proposer et valoriser des procédés de construction pouvant être plus rapides, économiques et écologiques, utile pour n’importe quel auto-constructeur ou petite entreprise de construction, afin de démocratiser l’accès à l’habitat écologique.


. Clayvidence
· Services de construction, et aide à l’auto-construction axés sur les habitats et pièces de petite taille : studio de jardin servant comme lieu de repos (méditation, musique, etc.) ou comme lieu de travail (cuisine, salle de bains de plein air, coin détente, mini-bar, coffeeshop)

Principalement avec l’utilisation de matériaux naturels, écologiques et locaux.

· Aménagements / Extension d’habitations faîtes avec des matériaux « conventionnels » afin d’ajouter une touche plus naturelle, une autre esthétique en utilisant des matériaux naturels et, autant que possible, locaux : terre, bambou, bois
· Consultation sur des projets liés à la construction écologique, l’auto-construction et la conception bio-climatique

. Baan Din Doi

· Baan Din Doi restera un lieu de formation, mais aussi d’expérimentations
· Formation proposée : Stages courts sur la construction terre avec un complément sur le travail du bambou

· Volonté de promouvoir les stages pour intéresser davantage les personnes des pays d’Asie Du Sud-Est, Inde et Chine ; ainsi que les étudiants en architecture étrangers, Thaï ou ASE ; ou encore des personnes impliquées dans des projets écologiques, éco-activisme, habitat social etc.

Références

www.baandindoi.com

*Toutes les photos sont personnelles et libres de droits

VALENTINE GEOFFROY

Etudiante en architecture

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